La récente découverte de plusieurs oeuvres de Banksy dans les rues de Paris et les quelques malheureuses dégradations qui ont suivi, posent la question de la protection de ces oeuvres directement exposées dans l’espace public. Sont-elles protégées par le droit d’auteur, malgré leur caractère parfois illégal ? A qui appartiennent-elles ? A l’auteur, au public, à tous ?

Les oeuvres de street art sont-elles protégées par le droit d’auteur ?

Les oeuvres de street art, au même titre que toute oeuvre de l’esprit, sont protégées par le droit d’auteur dès lors qu’elles remplissent la condition d’originalité. En l’application de l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle, « l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous« . Ainsi, quelque soit la forme d’expression, le support ou encore la destination de l’oeuvre, le droit d’auteur offre une protection contre toute exploitation non autorisée de l’oeuvre.

La seule condition requise est elle de l’originalité, notion qui a été précisé par la jurisprudence et la doctrine. Selon le professeur Laure Marino, la compréhension de la notion d’originalité a évolué et évoluera encore. Elle distingue toutefois trois « étapes » majeures dans la construction des contours de cette notion centrale du droit d’auteur, qui correspondent à trois définitions plus ou moins distinctes.

La première est « l’empreinte de la personnalité de l’auteur« , soit le sens « classique » et « subjectif », qui se distingue du critère objectif de la nouveauté, alors utilisé au 19e siècle. L’oeuvre originale est celle qui reflète la personnalité de l’auteur, son style, sa manière de voir le monde, qui lui est propre.

Cette conception personnaliste du droit d’auteur évolue pour se faire plus accueillante, objective et moderne. On parlera davantage de l’originalité comme de « la marque de l’apport intellectuel de l’auteur« , qui pourra être plus facilement utilisée « pour les oeuvres fonctionnelles, oeuvres du design, art appliqué et aux écrits « bas de gamme » comme certains recueils d’informations pratiques« .

Laure Marino dégage de la jurisprudence européenne un troisième critère, encore plus objectif qui serait « le critère des choix libres et créatifs de l’auteur« . Selon elle, « les choix libres et créatifs expriment ainsi la capacité créative » et rejoindrait l’approche de la première Chambre civile de la Cour de Cassation en 2008 dans son célèbre arrêt « Paradis ». Par celui-ci, la Cour reconnaît une protection au titre du droit d’auteur à l’oeuvre de Jakob Gautel qui consistait en « l’apposition du mot PARADIS peint en lettres dorées au dessus de la porte des toilettes du dortoir des alcooliques d’un ancien hôpital psychiatrique‘.

Sous condition d’originalité – et donc si l’oeuvre révèle la personnalité de l’auteur, ou encore relève des choix libres et créatifs de l’auteur – l’oeuvre de street art sera protégée par un droit d’auteur. Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi octroyé une protection par le droit d’auteur aux œuvres de l’artiste Space Invader du fait « de la transposition sous forme de carreaux de piscine des pixels du jeu vidéo préexistant », de « la nature des supports urbains des dits carreaux de piscines scellés dans les murs » et du « choix de leurs emplacements », démontrant l’originalité (TGI Paris, 3ème ch., 3ème section, 14 novembre 2007).

…même lorsque celles-ci sont illégales ?

Les supports empruntés par les oeuvres de street art – murs, routes, mobiliers urbains – n’appartiennent généralement pas à l’artiste. Qui plus est, celui-ci ne demande en principe pas l’autorisation du propriétaire du support (qu’il soit personne physique ou morale) avant d’y apposer sa création. Ainsi, l’oeuvre de street art naît, la plupart du temps, dans l’illégalité. Dès lors, est ce que cette illégalité dénie à l’oeuvre toute protection par le droit de la propriété intellectuelle ?

Il convient tout d’abord de noter que la licéité d’une oeuvre ne figure pas parmi les conditions de protection par le droit d’auteur.

Cependant, la pratique du street art lorsqu’elle est illégale donnera lieu à l’application du droit pénal à l’encontre des artistes ; et notamment de l’article 322-1 du Code pénal qui punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la destruction, la dégradation ou la détérioration du bien d’autrui. Plus précisément, le texte prévoit que « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger« .

Il n’y a actuellement pas de jurisprudence claire qui viendrait résoudre de manière définitive la question du conflit entre protection par le droit d’auteur et répression pénale. Toutefois, dans l’arrêt cité plus haut, les juges ont reconnu une protection par le droit d’auteur aux oeuvres de l’artiste Space invaders sans considération du caractère légal ou illégal de l’oeuvre. Autre exemple récent, mais géographiquement plus lointain : un juge américain a condamné un promoteur immobilier à verser la somme de 6,75 millions de dollars à 21 artistes de street art en dédommagement de la destruction de leurs oeuvres. Le promoteur avait recouvert de peinture blanche de nombreuses créations du site 5Pointz, entrepôt désaffecté de Long Island, considéré comme la « Mecque du grafitti ». Cette décision inédite a été prise sur le fondement du Visual Artists Rights Act, qui garantit aux auteurs un droit moral sur leurs oeuvres.

A qui appartiennent les oeuvres de street art ?

Autrement dit, puis-je « décrocher » une oeuvre dans la rue pour ensuite la revendre ? A l’heure ou le marché du street art est en pleine expansion, cette question est fondamentale.

En 2011 un pochoir de Banksy à Londres – le Kissing Coppers – avait été dérobé puis vendu aux enchères en 2014 à la Fine Art Auctions de Miami pour une valeur de 575 000 dollars. D’autres ont été retrouvées sur Ebay. Si l’auteur n’a jamais porté plainte pour le vol de ses oeuvres mondialement connues, il a toutefois créé un centre de certification de ses productions : le Pest Control, dans lequel il ne certifie que des oeuvres destinées à la vente.

A qui appartiennent les oeuvres, notamment lorsque celles-ci sont apposées sur des supports sans autorisation ? Le droit d’auteur dont jouit l’artiste sur son oeuvre (à condition que celle-ci soit considérée comme originale) va se heurter au droit de propriété du support, qui pourra appartenir à un particulier ou à la Mairie d’une ville par exemple. On entre alors dans une situation de conflit entre propriété intellectuelle (le droit d’auteur), et propriété physique (le support de l’oeuvre). Comme le rappelle le professeur Michel Vivant, spécialiste de la propriété intellectuelle, « il n’y aura alors que le juge pour arbitrer« . Dans le cas d’un vol, le propriétaire du support pourra porter plainte ; pour autant le « voleur » porte atteinte au droit de l’auteur en dénaturant l’oeuvre. L’auteur pourra alors au nom de son droit de propriété intellectuelle, attaquer en justice quiconque voudra exploiter son oeuvre au titre de la contrefaçon. Ainsi plusieurs droits d’entrecroisent, celui du propriétaire du support et celui de l’artiste de l’oeuvre.